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Réception du projet

Manuel Sanfuentes (CC BY-NC 2.0) from Flickr

« La TGB, avant même que les premières dalles n’aient été posées, ne devient-elle pas avec une très grande vitesse synonyme de Très Grande Bévue ? ». Cette critique acerbe à l’égard du projet est publiée dans le numéro 55 du Débat, la revue de Pierre Nora, dans un article signé par l’historien moderniste Denis Crouzet. Elle est le reflet de toutes les inquiétudes formulées à l’égard du projet quand celui-ci a été acté en avril 1989 par Jack Lang, ministre de la Culture et de la Communication, responsable des Grands Travaux de 1981 à 1986 et de 1988 à 1992. De l’annonce par le président Mitterrand jusqu’à l’ouverture, le projet a essuyé de nombreuses critiques sur tous ses aspects, que ce soit sur l’architecture, la répartition des collections, l’accueil du public ou encore des questions de budget. Ces critiques ont pu contribuer à nourrir la réflexion et ainsi à faire évoluer le projet.

La césure

L’annonce du 14 juillet 1988 par François Mitterrand suscite, dans un premier temps, très peu de réactions publiques de la part des chercheurs comme des journalistes. La question de l’engorgement de la Bibliothèque Nationale est en effet un sujet qui revient régulièrement parmi les utilisateurs. Ce n’est donc pas étonnant que, dès avril 1988, c’est-à-dire quelques mois avant l’annonce du président, François Léotard, alors ministre de la Culture et de la Communication (1986-1988), ait lancé un plan de BN bis, destiné à soulager les rayonnages du quadrilatère Richelieu.


Le 14 juillet 1988, François Mitterrand crée la surprise en dévoilant le projet d’une toute nouvelle bibliothèque. Il revendique un lieu rassemblant « tous les savoirs, toutes les techniques, tous les publics » mais ne révèle que peu de détails sur les aspects pratiques. 


Devant la tâche titanesque que représente un déménagement intégral des collections, un premier projet de césure, autour de l’année 1945, suit la nomination de Dominique Jamet comme président de l’association de préfiguration de la nouvelle Bibliothèque de France. C’est la confirmation de ce projet par Jack Lang, avec la décision d’ouvrir le lieu à tous les publics, qui déclenche les premières réactions franches de la part des chercheurs.

Cliché auteurs

« C'est ensuite que les ennuis commencent. Ou en tout cas
les discussions ! Sinon la guérilla 
»

A.N, Le Quotidien de Paris, 2 Octobre 1991

Le projet d’une nouvelle bibliothèque répond à un besoin déjà signifié par les chercheurs. Se considérant comme les premiers concernés, ils critiquent vertement le manque de consultation de la part du pouvoir et fustigent des décisions ne correspondant pas à leurs besoins et à leurs missions.

Ainsi, la répartition des collections entre les deux sites a suscité de nombreuses discussions. En témoigne l’ensemble des articles publiés dans Le Débat n°55 de Pierre Nora. La pensée de Kryzstof Pomian résume pleinement l’esprit qui règne dans le milieu des historiens :

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« Parmi ces décisions grandioses, celle de transférer de la B.N. à la T.G.B. les livres et les périodiques publiés après 1945 passe presque inaperçue. [...] Tout cela est dit du point de vue des gestionnaires pour qui, dans une bibliothèque et en particulier dans la B.N., les usagers n’ont aucune importance. »

Krystof Pomian, Le Débat, n°55

Quant à Marc Fumaroli, professeur au Collège de France, il affirme en juillet 1989 qu’à son avis, « opérer chirurgicalement le fonds propre de la BN [est une] opération chère, techniquement très compliquée et scientifiquement désastreuse ». Le 20 août 1991, ce sont les chercheurs, menés par Georges Le Rider, qui expriment leur mécontentement collectif dans une lettre adressée au président de la république.

«Les gestionnaires et bureaucrates sont sur le point de faire un poker avec la survie d'une collection irremplaçable, qui représente le cœur de la mémoire collective de leur nation. Voila pour le long terme.» 

Patrice Higonnet, Le Figaro, 29 juillet 1991

La question de la consultation

Ce que la plupart des critiques reprochent au projet est finalement le manque de consultation. Patrice Higonnet, professeur d’histoire de France à l’université d’Harvard, reproche le caractère « monarchiste »  de la décision du président François Mitterrand. Emmanuel de Roux va même plus loin en voyant dans la nouvelle Bibliothèque le « Mausolée du président ». Selon ses mots, à l’achèvement du chantier « le vieil homme pouvait mourir. Il avait sa bibliothèque. Elle porterait son nom ». Mais Laure Adler, alors conseillère du président pour la culture, répond à toutes ces critiques que « la polémique est fertile », ajoutant que « ce projet satisfait tout le monde, y compris ceux qui en contestent certains points ». C’est donc bien une question de forme plus que de fond qui a posé problème.

Cliché auteurs

Questionnement autour de l'implantation du nouveau site

Une des premières questions soulevée par la déclaration du président porte sur l’emplacement du site de la future « très grande bibliothèque ». Si certains militent pour une localisation en province, l’importance du projet, et la volonté de lui assurer un rayonnement international, conduit rapidement au choix de la capitale.


Reste alors à trancher entre le centre de Paris et les banlieues. Jack Lang, alors ministre de la Culture, soutient un projet à Vincennes, dans une caserne située à quelques pas du château médiéval. La verdure environnante et la proximité d’un monument historique si important, qui a par ailleurs abrité les manuscrits du roi Charles V, fondateur de la Librairie royale, lui paraissent le cadre idéal. Une autre idée est proposée par l’architecte Roland Castro, au nord de Paris, en Seine-Saint-Denis. Ce site accueillera en définitive le futur Stade de France.
A Paris, François Mitterrand, dans le souci partagé avec Jacques Chirac de développer la ville à l’est, pense pendant un temps au site de Bercy qui accueillera plus tard les nouveaux locaux du ministère des Finances dont les travaux ont débuté en 1984. Finalement, il faut se décider entre deux autres sites parisiens : une ancienne caserne située dans le quinzième arrondissement, proche de la station de métro Dupleix, à l’ouest de Paris, et le quai Tolbiac, dans le treizième arrondissement, dans l’est parisien. C’est ce dernier site qui l’emporte, dans un souci de développer un nouveau quartier de la capitale.


La mairie de Paris est, dans un premier temps, franchement favorable au projet. Jacques Chirac fait don du terrain destiné à accueillir la nouvelle bibliothèque. Mais, dès l’été 1991, la mairie tente de bloquer l’avancement des travaux. Dans une période d’austérité et de diminution des crédits, les élus municipaux tentent d’obtenir gain de cause en refusant d’accorder le permis de construire, au motif d’un dossier incomplet. En réalité, l’Etat n’a pas besoin d’un tel permis. Jean Tibéri, premier adjoint à la mairie de Paris, envoie une lettre à Émile Biasini. Une partie de l’équipe municipale veut « peser de tout [son] poids pour examiner le projet à la loupe, et contester s’il le faut le parti pris révolutionnaire et unique au monde de cette bibliothèque ». 

Les noms de la structure 

Le 14 juillet 1988, François Mitterrand parle de « Très Grande Bibliothèque » pour présenter son nouveau projet. La presse s’empare rapidement de l’expression et du sigle TGB qui se réfère au TGV, produit phare de l’industrie ferroviaire française. Cependant, l’institution préfère utiliser le titre « Bibliothèque de France » pour différencier le projet du site Richelieu et de de l’institution historique qu’est la Bibliothèque Nationale. Apparaît ensuite le nom « Bibliothèque nationale de France », en 1994, lorsque Dominique Jamet est remercié et l'Établissement Public dissous... Le premier président de la BnF, qui regroupe en son sein la Bibliothèque nationale et la nouvelle bibliothèque, est Jean Favier. A la mort du président François Mitterrand, en 1995, il est question de nommer la bibliothèque du nom de ce dernier, à titre posthume. La décision est prise par Jacques Chirac.

Dans Le Monde, Frédérick Edelman et Emmanuel de Roux résument la problématique du nom avec l’équation suivante : "TGB - BDF + BNF = BFM"

17 décembre 1996

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