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Débats et architecture

By Guilhem Vellut from Paris, France (BnF @ Paris) [CC BY 2.0], via Wikimedia Commons

Les inquiétudes et les critiques en réponse à l'ambitieux projet du président Mitterrand et de l'architecte Dominique Perrault sont nombreuses. Chaque aspect de la future bibliothèque est décortiqué et fait l'objet d'une polémique, l'architecture en premier lieu. 

Un projet critiqué sous tous ses aspects

« La T.G.B., avant même que les premières dalles de béton n’aient été posées, ne devient-elle pas avec une très grande vitesse synonyme de Très Grande Bévue? » 
Denis Crouzet, Le Débat, n°55, 1989/2, p.172.

Dans une interview pour le magazine L’Obs publié le 19 février 2015, Dominique Perrault revient sur ses rencontres avec le président Mitterrand au cours de l’élaboration de la future « Très Grande Bibliothèque ».  Le président avait qualifié de « sots » les intellectuels, les hommes politiques et les journalistes s’attaquant au projet. Une réaction qui s’inscrit dans le contexte d’une polémique virulente à l’égard de l’ensemble des choix du projet.

Un jury qui ne serait pas adapté ? 

En premier lieu, c’est le choix de l’architecte qui est la cible de nombreuses critiques. Son âge, 36 ans, suscite de nombreux commentaires. Mais cela tient surtout au fait que sa sélection met sur le carreau de grands architectes de renommée internationale comme Jean Nouvel et Fuhimiko Maki. Cependant, François Mitterrand désireux de défendre une vision jeune, accorde un soutien sans faille à son architecte et à son projet. 

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Plus généralement, la composition du jury est critiquée, la présence de nombreux architectes, et l’absence d’universitaires et spécialistes des bibliothèques sont perçues comme la preuve que ce projet ne s’inscrit pas dans une volonté de construire un lieu de conservation des ouvrages et d’accueil des chercheurs, mais est l’expression du caractère « monarchiste » du président Mitterrand.
 

« Les Français sont habitués à voir leurs présidents s'attribuer un nouveau "domaine réservé", celui de l'architecture. En François Mitterrand, ils ont découvert un nouveau Louis XIV. » 
François Hauter, Le Figaro, 27 juillet 1991, p.1.

 

La plume acérée de la critique

« Le projet de Dominique Perrault a un charme défraîchi. Ses formes rectangulaires sans relief, ses quatre tours de verre et d'acier de 86 mètres de haut, ont l'élégance de l'architecture moderniste des années 60. L'immeuble ne fait aucune concession au présent ni au passé de la capitale française. Bien au contraire : toutes les tours érigées jusqu'ici dans cette ville se sont avérées, d'une manière ou d'une autre, être des erreurs. Pourquoi en irait-il autrement de celles de la BDF? L'immeuble de Perrault tourne résolument le dos à la Seine qui, jusqu'au XIXe siècle, était au coeur de la vie urbaine et qui aurait pu l'être ici une fois encore. [...] Ses entrées minuscules dérouteront les visiteurs. Ses murs en verre plongent directement dans le sol : ici, pas de place pour une quelconque interaction piétons/bâtiment. Le plan de Perrault est présenté comme une avancée audacieuse et futuriste. En fait, il s'agit d'une entreprise passéiste, réplique des espoirs américains d'hier. »

 

Patrice Higonnet, Le Figaro, 27 juillet 1991, p.7.

Cliché auteurs

De l’architecture, tout a été critiqué mais ce sont les tours qui concentrent toutes les inquiétudes et les reproches. L’un des premiers est le choix du verre pour les tours, lieu de conservation des documents. Pour les détracteurs, le choix architectural est mis en avant au détriment du fonctionnel. Patrice Higonnet, Marc Fumaroli et Philip D. Leighton se font les chantres de cette charge contre les choix architecturaux de Dominique Perrault. Des critiques battues en brèche par Dominique Jamet qui répond notamment que la tribune de Marc Fumaroli manque profondément de rigueur tant elle ne reflète pas les véritables choix du projet. Il souligne par ailleurs que l’universitaire et président du Conseil Scientifique de la Bibliothèque nationale aurait pu avoir accès à l’ensemble des détails du projet s’il les avait demandés. Toutefois, si Dominique Perrault conserve le verre appliquant le principe de la double peau, il réduit les tours de deux étages, la hauteur passant ainsi de 86 mètres initialement à 79 mètres. De plus, une partie des ouvrages précieux est descendue dans le socle où une surface de 7000m2 l’attend.

« Mais la création d’une entrée unique pour un bâtiment de cette
forme serait très difficile, sinon impossible. C’est la forme de l’édifice qui commande son fonctionnement.
Peut-être que cela donne des indications sur la forme ! »

Philip D. Leighton, Le Débat, n°65, 1991/3

Matériaux et espaces

Cliché auteurs

Parmi les autres critiques formulées, l’utilisation du béton a été largement remise en cause. Une étude a été menée afin de déterminer si l'emploi de ce matériau est envisageable pour les tours. Une démarche qui va à l’encontre de l’effet de transparence et de légèreté voulue par Dominique Perrault. L’argument économique est avancé, le béton est peu coûteux mais associerait la bibliothèque aux immeubles de bureau qui fleurissent à Paris. 

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Quant à la répartition des espaces, c’est d’abord l’entrée qui interroge. Dans son article publié dans Le Débat, Philip D. Leighton souligne les contraintes de personnel et de budget imposées par la double entrée. De même, n’étant pas directement visibles, elles renforcent l’effet de bunker qui est régulièrement reproché. C’est toute la structure et son fonctionnement qui sont interrogés par le directeur des bâtiments de l’université de Stanford.
 

« Cette affaire nous trouble beaucoup. On ne peut pas balayer d'un coup les avis défavorables de tant d'esprits éminents »

Jean Tibéri dans une lettre à Emile Biasini, propos rapporté par François Hauter, Le Figaro, 26 juillet 1991

L’un des premiers rapports sur le sujet a été présenté par le Conseil supérieur des bibliothèques (CSB) lors d’un rapport au Président le 20 janvier 1992. A la suite de ce rapport, le président François Mitterrand a donné son arbitrage durant une conférence de presse, le 11 février 1992. A l’ensemble des polémiques portant sur les questions de conservation, le président répond que le projet n’est en aucun cas remis en cause par les scientifiques ; il ajoute que les emplacements dans les tours sont réservés aux livres communs, les livres les plus précieux bénéficiant d’espaces préservés dans le socle.

Une polémique qui se poursuit après l'inauguration

La polémique autour du bâtiment ne s’arrête pas après l’inauguration. En 2000, la mission d'information chargée d'étudier le fonctionnement de la Bibliothèque nationale de France pour le compte du Sénat produit un rapport qui rappelle les nombreuses polémiques et qualifie la construction de « contre-performance ». Les différentes modifications apportées depuis, et les années passant, les critiques se sont tassées. La virulence des propos tenus a été oubliée, celle-ci ayant d’abord eu pour but d’améliorer la compréhension du projet présidentiel.

« Tolbiac apparaît comme l'expression même d'une contre-performance puisque le bâtiment réussit à être à la fois trop grand et trop exigu. »

Philippe Nachbar, Philippe Richert , Rapport d’information au nom de la commission des Affaires culturelles, 2000

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